Je suis née dans une ville de province. Il y a deux ans, j’ai répondu à une annonce pour être fille au pair dans une famille riche de la capitale. Mes copines m’ont dit de me méfier et d’en discuter avec ma mère. A la radio ou à la télé, on parle souvent des filles de la campagne à qui l’on promet un emploi et qui sont envoyées dans d’autres pays comme prostituées. J’ai décidé de prendre le risque. De toute façon, je pensais n’avoir aucun avenir si je restais.
A la gare, un couple est venu me prendre pour me conduire dans une maison en banlieue où il n’y avait que des hommes.
Pendant des jours, j’ai été violée et battue. Ça ne s’arrêtait pas. A la fin, j’acceptais de faire ce qu’ils voulaient.
Ils m’ont laissée tranquille quelques jours, puis un homme est venu. Les trafiquants lui ont donné mes papiers. Dans la voiture, il m’a dit qu’il m’avait achetée et qu’il allait me prostituer pour se rembourser. J’avais peur qu’il me batte de nouveau.
Je travaille dans son club. C’est à la fois un bar et une discothèque, avec des chambres au-dessus. On est cinq à six filles, parfois dix. On fait boire les clients, on discute avec eux et on les accompagne en haut quand ils le demandent. Impossible de refuser, même si l’homme est saoul et violent ou ne veut pas mettre de préservatif. Une nuit, l’un deux m’a frappée très fort. Le patron m’a obligée à prendre un bain glacé pour que les coups ne laissent pas de traces. Pleins de filles se font blesser, et quand c’est trop grave, ils les balancent aux urgences ou les laissent dans la rue. Beaucoup se droguent pour tenir. Moi, je ne veux pas, car je serais complètement prisonnière.
Je suis sûre que je vais finir par être contaminée par le Sida ou une autre maladie.
Il m’est arrivé de recevoir treize hommes en une seule nuit. Je ne ressens plus rien, c’est comme si c’était un autre corps que le mien. J’ai honte de m’être laissée prendre. Parfois, je pense que je n’ai que ce que je mérite. Je ne vois pas qui pourrait m’aider. Je me méfie de tout le monde. Je ne parle jamais à personne. Je ne peux pas aller à la police, puisque je suis prostituée. Ils ne feront rien pour moi et me mettront en prison.
pages 42-43 de Le travail des enfants, M. Hélary, Milan Jeunesse, 2009